jeudi 11 novembre 2010

Le Post Humanisme veut-il en finir avec le Corps ? - Jean-Michel BESNIER - 133mn - Conférence Iségoria - Audencia - 2009




Conférence "Le Post-humanisme veut-il en finir avec le Corps ?" par Jean-Michel Besnier 
Organisée par l'association Iségoria - Audencia - Ecole de Management à Nantes 
Durée du programme : 133 mn - Production : Audencia - 2009

Quelques questions que l’on peut se poser en examinant ce thème :
Au premier abord, le thème semble opposer post-humanisme et humanisme traditionnel. Ce thème est lié à l’apparent dressage auquel nous faisons face sans cesse dans notre société, à l’amélioration perpétuelle du corps et des performances de ce dernier.

On peut également se demander quelle définition on peut au jour d’aujourd’hui donner au corps ? Est-il exploitable ? véritablement matériel ou juste spirituel ? est-il une synthèse des deux approches ?

Comme on l’a longtemps entendu, le corps est-il toujours le lieu de la singularité de la société ? le moyen par lequel chaque homme s’exprime en tant qu’être unique ?

Jean-Michel Besnier - "Demain les posthumains" - "Les théories de la connaissance"

"Demain les Posthumains - Le futur a-t-il encore besoin de nous ?" :
Clones, robots, cyborgs, organes artificiels... : la science-fiction d'hier devient notre réalité et l'on se demande déjà comment préserver une définition de l'humain.
Chez ceux que les machines fascinent, Jean-Michel Besnier perçoit une forme de lassitude - voire de honte - d'être seulement hommes. Aux autres qui, au nom d'idéaux humanistes, refusent les progrès techniques, il reproche en revanche leur inconséquence : n'ont-ils pas cru que la liberté humaine consistait à s'arracher à la nature - ce que la technique permet d'obtenir effectivement ? Les métaphysiciens de toujours souhaitent que l'Esprit triomphe de la Nature. Les visionnaires d'aujourd'hui, proclamant l'avènement du posthumain, annoncent la réalisation concrète de cette ambition. Grâce à son ingéniosité, l'homme n'aura bientôt plus le souci de naître : il s'autoproduira. Il ne connaîtra plus la maladie : des nanorobots le répareront en permanence. Il ne mourra plus, sauf à effacer volontairement le contenu téléchargé de sa conscience.
Mais comment vivrons-nous dans ce monde-là ? Quelle éthique nous mettra en harmonie avec une humanité élargie, capable d'inclure autant les animaux que les robots ou les cyborgs ? Quels droits, par exemple, devrons-nous accorder à ces robots chargés, là où les hommes sont défaillants, de rendre nos fins de vie plus humaines ? Les utopies posthumaines nous obligent à affronter ces questions, à évaluer nos dispositions à engager le dialogue avec cet autre, hier animal ou barbare, aujourd'hui machine ou çyborg. N'est-ce pas là justement, aujourd'hui comme hier, que se joue la grandeur de l'humain ?

L'intervention de Jean-Michel Besnier :
    Tout d’abord, il est nécessaire de clarifier sa définition du terme «post-humanisme ». Pour lui, il englobe l’ensemble des réflexions suscitées par les perspectives de plus en plus nombreuses que nous offrent la... techno science (robotique, nanotechnologie, technologies de l’information et de la communication, biotechnologie). En effet, on s’interroge de manière croissante sur l’Homme que nous sommes en train de fabriquer par le biais des techniques développées par ces différentes sciences tels que le clonage ou l’ectogénése ; cette homme dont on prétend pouvoir améliorer les compétences indéfiniment et que l’on cherche à rendre immortel.

    Cette réflexion trouve sa source avec une conférence donnée par le philosophe allemand Sloterdjik en 1999 dans laquelle il pose cette question centrale : comment les hommes vont-ils s’organiser dans un monde ayant atteint la maîtrise du vivant ? Quelle attitude devra-t-on adopter envers les clones lorsqu’ils feront véritablement partie de notre vie quotidienne ? Loin d’être cynique, Sloterdjik ne fait que s’interroger sur les valeurs de notre société lorsque celle-ci aura été complètement bouleversée par les biosciences, lorsque l’on fera face à une « humanité élargie ».

    Il est nécessaire également de faire la distinction entre « post-humanisme » et « trans-humanisme ». En effet, le trans-humanisme regroupe l’ensemble des spéculations générées par les technologies susceptibles d’éviter à l’Homme la naissance, la souffrance et la mort. Ce courant est, au fond nous dit M. Besnier, soucieux de développer des techniques qui vont nous débarrasser de l’humanité et de la singularité humaine (ici ce qui menace de rompre avec la régularité) en nous permettant, par exemple, de faire des enfants sur-mesure en sélectionnant leurs gènes etc.

    Il n’est donc pas si facile de faire la distinction entre trans- et post-humanisme, puisque dans les deux cas il y a l’idée d’une transformation du corps, mais le trans-humanisme correspond davantage à du cynisme, quand le post-humanisme se pose de véritables questions axiologiques.

    De plus, M. Besnier revient sur la figure du cyborg. Elle correspond à un mixte entre le vivant et la machine. Ainsi, certains rescapés de graves accidents ont des jambes articulées ou une personne avec un pacemaker. Le cyborg se définit notamment par le fait qu’il est un être hybride avec un organisme naturel mais des outils issus de la cybernétique. Ce cyborg fait de plus en plus peur car on aspire à atteindre l’intelligence artificielle, une intelligence non anthropomorphe qui supplanterait l’humanité dès 2030 d’après certains.

    M. Besnier précise ensuite son propos concernant le thème de la conférence. Pourquoi donc se demander si l’on veut en finir avec le corps ? Tout simplement parce que, depuis quelques années maintenant, le corps semble bel et bien être devenu le corps à abattre par les sciences citées précédemment. On peut dès lors se questionner sur cette impatience pour la fin du corps en tant que tel !

    L’idée n’est pas nécessairement nouvelle. En effet, dans la tradition platonicienne, le corps constituait déjà l’indice d’une insupportable finitude, d’un obstacle au désir d’élévation de l’âme. Ainsi, toutes les philosophies issues de la tradition platonicienne invitaient à en finir avec ce corps, pour en assurer une véritable spiritualisation, destination même de l’Homme.

    On peut de même citer le dualisme cartésien qui rapporte le corps à l’aspect animal de chaque être humain, incitant à le délaisser au profit d’une chose plus essentielle : la conscience. Même le matérialisme du 18ème siècle, pourtant en contradiction apparente avec Descartes, restait convaincu que le corps constituait la partie de l’Homme hypothéquant les perspectives d’émancipation de ce dernier.

    Aujourd’hui encore, l’obsession pour le corps parfait avec tous les phénomènes de mode qui lui sont liés tel que le culturisme semble être également une manière de vouloir l’effacer puisqu’elle tente d’en supprimer la résistance mais aussi la singularité. L’augmentation de l’hygiénisme et de la crémation est un autre indice de ce phénomène, éliminant directement le charnel. Avec les nouvelles technologies, on a la preuve irréfutable de cette volonté de suppression. Les techno prophètes sont notamment obnubilés par le fantasme de l’homme remodelé, préfabriqué.

    En fait, si nous acceptions réellement notre corps, nous devrions en revendiquer l’hyper individualisation, l’unicité. Mais là encore des scientifiques nous amènent sur la voie opposée. On peut prendre l’exemple de Richard Dawkins qui, dans son ouvrage « Le gène égoïste », soutient que nos organismes ne sont que de simples réservoirs à gènes indifférents d’être dans tel ou tel corps pourvu qu’on véhicule le bon gène.

    Il est intéressant de revenir à l’approche du corps dans la tradition phénoménologique pour comprendre que le corps peut, à juste titre, être considéré comme indispensable. Husserl s’interrogeait sur le vécu à travers le corps et définissait l’Homme comme le produit d’expériences singulières qui étaient justement permises grâce au corps humain. Il est pourtant facile d’oublier cette idée et on peut alors rapidement être tenté de se dire que le corps n’est rien.

    Mais pourquoi en arriver à cette conclusion ? Cette attitude de négation du corps qui peut finalement être comparée à une attitude de négation de soi semble relever du pathos. Au fond de ces utopies, ou plutôt dystopies, y a-t-il sans doute une certaine forme de lassitude, de fatigue, de désaffection d’être soi. Ainsi, l’idée que l’Homme est en train de vivre ses derniers jours n’est pas si mauvaise, elle est même bonne. Avec la propension grandissante de la dépression qui est souvent définie comme la fatigue d’être soi, il paraît indubitable que l’humanité aspire à
    en finir avec le corps et avec l’être humain. Longtemps, la névrose a prévalu : nous nous sentions coupables. Aujourd’hui, nous assistons plutôt à une tragédie de l’insuffisance : on en veut toujours plus, on n’est jamais satisfait, l’homme est un hyper consommateur. Dans les deux cas de toute façon, le corps n’a rien gagné, il reste comme disait l’autre le tombeau de l’âme. L’homme se retrouve face à sa dure réalité et il en a honte : honte d’être devenu plutôt que d’être fabriqué, de voir son existence incalculée. Et le pire, c’est que la dépression semble nous entraîner dans une spirale infernale : nous amenant à nier notre corps et à tourner le dos au conflit à la fois. D’où cette absence de combativité au post-humanisme. L’homme déprimé préfère se laisser aller aux machines.

    Il paraît peut être aisé de réhabiliter la place du corps, mais la chose n’est pas facile surtout face aux bio technologies qui paraissent toutes puissantes. Le développement de la science apparaissait comme quelque chose d’enviable et de positif tant que celui-ci se faisait dans des notions de respect de l’être humain. On fait le procès des multinationales exploitant les populations pauvres du fait de la mondialisation, ne pourrait-on pas, de la même façon, remettre en cause les sciences modernes ? Quoi de plus ennuyeux qu’un monde où d’aucun n’aurait sa véritable singularité.

    Source Audencia TV : Le post-humanisme veut-il en finir avec le corps ? - Jean-Michel Besnier

     Jean-Michel BESNIER : Professeur de philosophie et chercheur français

    Biographie :
    Né en 1950, Jean-Michel Besnier est agrégé de philosophie et docteur en sciences politiques. Il est professeur de philosophie à l'université de Paris IV – Sorbonne (chaire de Philosophie des technologies d'information et de communication) et dirige le DESS " Conseil éditorial et gestion des connaissances numérisées " dans cette même université . Depuis 1989, il appartient au Centre de recherche en épistémologie appliquée (CREA), laboratoire du CNRS et de l'Ecole Polytechnique axé sur les sciences cognitives. Il est actuellement membre du Comité scientifique de la Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette, du Comité d'experts scientifiques de l'ANVIE (Association nationale pour la valorisation interdisciplinaire de la recherche en sciences de l'homme et de la société auprès des entreprises), du COMEPRA (Comité d'éthique et de précaution de l'INRA), et du CSRT (Conseil supérieur de la recherche et de la technologie). Il est par ailleurs rédacteur-en-chef adjoint de la Revue Hermès (dirigée par Dominique Wolton) et chroniqueur au magazine Sciences et Avenir Hors-Série.

    Jean-Michel Besnier a été membre de la Commission " Sciences et sociétés " de l'UNESCO, de la commission " Littérature scientifique et technique " du Centre national du livre, membre du Conseil scientifique de la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette (quand ? ), ila, de 1990 à 1997, créé et dirigé un cursus intitulé " Humanisme et Modernité " à l'Ecole Centrale de Paris de 1997 à 2000,dirigé le département de sciences humaines de l'Université de technologie de Compiègne.

    Il a créé et dirigé la collection " Sciences Cognitives " aux éditions La Découverte en 1990, puis la collection " Optiques Philosophie " aux éditions Hatier en 1995. Par ailleurs, il a appartenu au comité de rédaction de la revue Esprit de 1989 à 1996 et il a collaboré à L'Express pendant plusieurs années. De 1996 à 2000, il a de manière permanente collaboré aux émissions Le Banquet puis Philambule, diffusées sur France-Culture. Il a publié plus de 130 articles dans diverses revues, ainsi que de nombreux ouvrages.

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